Une première nouvelle pour vous faire entrer dans les mondes perpendiculaires...
Le bal du lycée. Chaque année depuis deux ans, début mai, c’est la même idiotie. Tous les cours s’arrêtent plus tôt pour préparer cet événement magique qui durera jusqu’au bout de la nuit, enfin… minuit. Certains sont déjà en train de se préparer, de revêtir la tenue qui leur permettra d’apparaître plus vieux, plus adultes, moins boutonneux et plus beaux, d’autres préparent la scène, le buffet. Pourquoi ne se rendent-ils pas compte que la déception est inévitable ? Un grand nombre de professeurs sont également embauchés, essentiellement pour la surveillance de tous ces adolescents en furie. Ils font semblant de sourire mais je suis certaine qu'ils voudraient juste rentrer chez eux. Ils sont profs, pas animateurs d'un club de vacances. Moi, je déprime. Déjà, parce que je n’aime pas copier les traditions des autres, ensuite parce que je n’ai pas envie de mettre une robe de soirée pour aller danser au gymnase et enfin, parce que personne n’a eu l’idée de m’inviter. Et il faut avouer que c’est quand même LE point essentiel. On ne va pas à un bal de fin d’année seule. On y va, au pire, avec sa meilleure copine et, au mieux, avec son petit copain. Forcément ceux qui n’ont ni meilleure copine ni petit copain se sentent exclus. Dehors il fait un grand soleil mais je me suis réfugiée dans la cafétéria. J’ai sorti un cahier et un stylo. Je suis assise inconfortablement devant l’épaisse table de bois gravée de tous les noms de ses usagers. Je ne prétends pas travailler mais j’écris. Je suis à quelques pages de terminer mon premier roman alors je fais des brouillons, des frises chronologiques. Je réfléchis à comment m’y prendre pour mettre en place les derniers éléments. Je lève un peu la tête à la recherche de l’inspiration. La cafétéria paraît vraiment très grande. Je griffonne à nouveau quelques mots. D’habitude cela résonne mais aujourd’hui il n’y a personne. Ou presque. Je sens une présence au dessus de moi : quelqu’un se tient debout juste en face et me regarde. Je pose mon stylo, enlève mes lunettes et lève la tête. Il porte des vêtements amples, ses cheveux mi-longs sont détachés et il a une barbe de quelques jours. Je dirais que sa tenue manque de soin.
« Tu n’es pas avec les autres ? Demande-t-il.
- Apparemment non. »
J’essaye vraiment de ne pas être désagréable dans ma réponse mais la question est tellement stupide. Soit il s’en rend compte et ça le vexe soit, il ne s’en rend pas compte et le ton dédaigneux que j’ai pris le vexe. Bref, il est vexé.
« Ils ne sont pas assez bien pour toi, c’est ça ? demande-t-il, narquois.
- Ou alors j’avais envie de m’isoler pour ne pas prendre de remarques stupides en pleine face.
-Ouais, je comprends. »
Il s’assoit. On pourrait plutôt dire qu’il se laisse tomber sur le banc en face de moi. Là encore, j’hésite : fait-il semblant de ne pas comprendre que ma remarque lui était destinée ? Je m’attends à ce qu’il s’éloigne mais il insiste.
« Moi c’est Nate.
- Diminutif de Nathan ? »
J’avoue que j’exagère. Je prends un ton sarcastique. Je le traite comme un de ces gars prétentieux qui croient que tout ce qu’ils touchent aura l’air plus brillant avec un vernis américain. Je me moque littéralement de lui alors qu’il n’a rien fait pour…et très vite je réalise que je vais tomber dans mon propre piège.
« Non, mes parents m’ont appelé Nate…tout court.. et toi ? »
Voilà, c’est là que j’ai l’air bête.
«… Cassandra »
Il sent que j’hésite, ma voix tremble un peu et je baisse le regard sur mon cahier où je n’écris plus rien depuis un moment. Allez ma fille, il faut assumer à présent.
« …Mais tu peux m’appeler Cass. »
Il éclate de rire et je pouffe un peu moi aussi face à mon ridicule. Il finit par se calmer et reprend, avec beaucoup de sérieux.
« Tu es déjà montée au château ?
- Au château ?
- Le château en ruines d'Haren. »
C’est vrai que tout le monde le connaît. C’est un lieu historique associé à des milliers d’anecdotes passionnantes mais aussi un lieu connu pour quelques sordides faits divers… Cette conversation prend une tournure dangereuse.
- Non jamais. On dit que c’est un peu mal famé, non ?
- Bof, en plein milieu de l’après midi, ça ne doit pas craindre grand-chose. J’y vais en tous cas : tu veux venir ?
- Pourquoi… moi ?
- Parce que je te trouve jolie avec ta longue queue de cheval tirée en arrière, ton chemisier tout bien propre et repassé, ton nez en trompette et tes longs cils noirs. Parce que tu as l’air intelligent et parce que, a priori, la compagnie des gens normaux ne te plaît pas plus que ça, donc j’ai ma chance. »
Je déglutis et reste interdite. Pour être parfaitement honnête, il est plutôt séduisant mais je ne peux m’empêcher de me dire que pour attirer une jeune fille dans un coin isolé il n’y aurait pas meilleur technique. Je me méfie toujours de tout et de tout le monde… pourquoi ferais-je une exception pour lui ? Parce qu’il a l’air sincère ? Parce que j’aimerais qu’il soit sincère ? Et s’il n’était que très bon comédien ?
« Je vais poser mes affaires dans ma chambre, je te retrouve ici dans dix minutes. » Ça me laissera un peu de temps pour réfléchir. Je ferme mon cahier, coince mon stylo à l’intérieur , attrape mes lunettes et m’enfuis. Le plus probable c’est qu’il ne soit de toute façon plus là quand je redescendrai. J’ai donc pris ma décision ? Je vais redescendre ? Je monte les marches quatre à quatre. J’ouvre la porte de ma chambre et pose mon cahier sur mon bureau. Je m’assois un instant sur mon lit et tente de réfléchir. Je regarde mon short : pas trop court. Mon débardeur : pas trop décolleté. Mes chaussures : basiques. Il n’y a rien d’attirant chez moi. Je passe normalement inaperçu. Je ne suscite pas la haine, n’appelle pas les moqueries. Non, généralement, on m’ignore, tout simplement. Mon regard dans la glace m’attire. Je ne suis pas une fille sans défense. Je suis même probablement plus forte que lui. Il l’ignore certainement, comme tout le monde. Je ne dois pas le craindre. Je donne une petite tape sur mon lit, comme pour m’encourager et je me lève. De toute façon il sera parti. J’ouvre la porte et il se trouve juste derrière. J’ai un léger sursaut. Pourtant, cela n’a pas l’air de le choquer d’attendre ainsi. Cela implique nécessairement qu’il ma suivie et personne n’aime être suivi… J’attrape d’une main le médaillon que j’ai autour du cou et l’emprisonne pendant de longues secondes. Je suis invincible…
***
J’essaye laborieusement de me hisser sur la grosse pierre mais elle glisse encore de la pluie d’hier. Je m’y prends à plusieurs reprises sans succès, tentant d’utiliser l’élan de mon impulsion. Mais ce sont finalement ses mains sur ma taille qui m’aident à monter. J’essaye de ne pas rougir et cache mon embarras par une question.
« Tu n’as pas de médaillon ?
- Non.
- Alors que fais-tu en cours de numérique ?
- J’en bricole un.
- Fais-voir… »
Je suis réellement intriguée. Je suis plutôt fortiche en matière de numérique et de programmation de ces petites bêtes et j’ai hâte de voir ce que mon homologue geek a conçu. Il ne porte rien autour du cou mais il en a un dans sa poche. Il me tend l’objet sans hésiter. Je regarde le médaillon une fraction de seconde, puis son propriétaire. Me croyait-il incapable de comprendre ce que c’était ? Je n’essaye pas de cacher mon embarras.
« C’est un jammer… Avec ça, tu peux brouiller n'importe quel pouvoir. Si on le découvre, tu vas avoir des problèmes.
- Tu vois, je suis à ta merci plus que tu n’es à la mienne à présent. »
Je lui réponds par un sourire. Je ne sais pas vraiment quoi dire. Je lui rends le médaillon, il le remet dans sa poche et nous reprenons notre ascension. Il y a un peu de vent. Le bruissement des feuilles est rassérénant. A plusieurs reprises il m’aide dans ma progression. Il faut dire que le parcours est délicat. Il faut parfois enjamber des trous assez larges et profonds, faire quelques mouvements d’escalade, sauter… Il n’hésite jamais à me prendre par la taille, m’attraper la main ou me rattraper par le coude lorsque je manque de perdre l’équilibre. Nous faisons une petite pause au bord d’un ruisseau. L’air est encore plus frais, et je fais glisser mes doigts dans l’eau glacée avec plaisir. Nous nous asseyons côte à côte sur un gros caillou de calcaire, lissé par le temps.
« Pour ton médaillon… Le prof… te laisse faire ?
- Je crois qu’il ne comprend pas.
- M. Altarc ne comprend pas ? Laisse-moi rire.
- Disons plutôt qu’il se désintéresse de moi. Je suis dans la catégorie des emmerdeurs. - Et tu assumes ça ? »
J’ai tendance à penser qu’il n’assume pas vraiment étant donné qu’il regarde ses pieds… Il botte en touche.
- C’est ce que je suis. Toi, tu es dans la catégorie des intellos.
- Je ne me place pas dans cette catégorie.
- Pourquoi ? ça t’embête ?
- Non, mais je trouve cela un peu facile de se dire qu’on ne peut pas changer.
- Oui, je suis un cancre flemmard et toi une intello donneuse de leçons. »
Je le regard interloquée. Je crois même que j’entrouvre les lèvres. J’avais oublié pendant quelques minutes l’étrangeté de son invitation à venir me promener avec lui : de nouveau je suis perplexe. Que cherche-t-il ? Mon silence, un peu long, mon air ébahi laissent clairement comprendre ce que je pense. Il répond à ma question silencieuse.
« Je suis sincère. Tout le temps. Pour moi, être vrai, c’est dire sans détour ce que l’on pense. Je peux te dire que je te trouve jolie et intelligente et je peux te dire que tu es une donneuse de leçons.
- ça ne s’appelle pas être sincère, ça s’appelle manquer de tact.
- Tu as peut-être raison. Je ne cherchais pas à te blesser. Pardonne-moi si je l’ai fait. »
Je hausse les épaules, et lui fais un geste de la main pour balayer la remarque.
« T’inquiète. Intello, j’ai l’habitude. Donneuse de leçons… je vais faire attention. »
Il sourit et je lui réponds. J’aime bien l’idée que les relations avec les autres servent à nous améliorer. A améliorer ce que l’on souhaite du moins. Nous repartons d’un commun accord faire notre petite randonnée. Nous ne parlons pas pendant de longues minutes et écoutons les bruits de la forêt. L’odeur de résine des pins et le bruit atténué de nos pas sur les aiguilles brunes m'apaisent. Je n’arrête pas de penser à son médaillon. Il y a quelque chose qui me plaît énormément dans ce qu’il fait même si c’est illégal… parce que c’est illégal devrais-je dire.
« Tu sais, j’aimerais bien moi-aussi avoir le cran d’enlever mon médaillon. Je t’admire.
- Personne ne t’oblige vraiment à le garder.
- C’est vrai, mais la plupart des gens, moi y compris, s'en est fait une obligation. Une dépendance. Je me prétend détachée des autres mais en réalité j’aurais peur de manquer quelque chose si je l’enlevai. Je n’ai pas tellement d’amis, mais rien que pour les cours…on s’en sert beaucoup.
- allez, avoue, Cass, tu aimes ton pouvoir.
- Non, pas vraiment.
- C’est quoi ? »
C’est presque intime comme question. J’essaye de détourner la conversation parce que je n’ai pas du tout envie de répondre.
« Alors c’est ça tu veux me voler mon médaillon ? le taquiné-je. Tu veux récupérer mon pouvoir.
- Je l’aurais déjà fait.
- Vraiment ? Essaye. »
Je lui lance un regard malicieux, rempli de provocation. Il ne lui en faut pas tant. Il approche sa main pour s’en emparer et la retire vivement comme si il avait reçu une claque dessus.
« Un bouclier ! s’exclame-t-il. Enorme !
- Au début j’ai vraiment eu du mal à le maîtriser. Pas facile de se faire des amis. J’ai encore pas mal de problèmes.
- Moi je trouve ça cool.
- C’est parce que tu n’as pas essayé de m’embrasser. »
Mais qu’est-ce qui me prend ? Ce n’est pas du tout mon genre. Enfin si c’est tout à fait mon genre de parler trop vite et de me rendre compte que je ne suis pas prête à assumer mes provocations. A nouveau il n’hésite pas. Il arrête de marcher, se tourne vers moi en enfilant son médaillon autour de son cou, passe une main derrière ma nuque et pose ses lèvres sur les miennes. Je me laisse faire. C’est un baiser délicat, léger. Je sens le frais contact de ses lèvres pendant une seconde à peine et il se recule. Il me sourit avec beaucoup de satisfaction.
« Tu avais oublié mon jammer n’est-ce pas ? Plutôt efficace,non ? »
Je ne réponds rien. Il se remet à marcher et je le suis. Le château dresse ses ruines devant nous tandis que le ciel s'assombrit. C'est un décors fantastique. Je m'attendrais presque à voir un corbeau voler au dessus de notre tête. Nous avançons vers les ruines et pénétrons à l'intérieur de ce qu'il en reste : une tour. J'aime bien écouter ce que disent les vieilles pierres : j'ai l'impression d'entendre une voix qui provient du fond des âges. Je trouve rassurant l'idée que tout cela était là bien avant moi et perdurera bien après mon passage.
Un frisson me parcourt. Je frotte machinalement mes épaules avec mes bras. J'aurais dû prendre un gilet. Ou un anorak d'ailleurs. Il fait vraiment froid tout d'un coup. Je vois Nate faire les même geste : ce n'est donc pas moi qui suis frileuse. Il s'arrête de marcher et regarde vers le ciel. Je crois qu'il a compris bien avant moi ce qui était en train de se passer. Je me place à ses côtés et je regarde moi aussi. Je ne vois rien d'autre qu'un ciel gris, noir. Il attrape ma main sans détacher son regard du ciel et il continue à fixer ce qu'il y a par delà les nuages. Je sens sa peur mais je ne la comprends pas encore. Et puis, quelque chose de froid tombe sur mon nez. Il tourne son regard vers moi et pose son doigt dessus. Ce n'est rien de plus qu'une goutte d'eau. J'éprouve le besoin de le rassurer. Je serre un peu plus sa main mais de ma bouche sort un son à peine plus haut qu'un murmure :
« Ce n'est que la pluie.
- Non, Cass »
Il met la pulpe de son doigt juste devant mes yeux et je peux distinguer les branches du flocon en train de fondre. Le vent se lève subitement et me pousse dans les bras de Nate. Il m'enserre quelques instants tandis que les flocons se mettent à tomber tout autour de nous. Nous restons dans les bras l'un de l'autre à les regarder pendant de longues minutes. La température a chuté et l'air est devenu glacial. En combien de temps un corps peut-il geler ? Eh ! Réveille-toi Cass : tu as un pouvoir, non ? J'attrape le médaillon de Nate que je remets dans sa poche et me concentre. Il ne manquerait plus que son jammer brouille mon pouvoir et anéantisse mes efforts ! Je me suis déjà entraînée à faire cela une ou deux fois. Je commence à mettre en place une bulle autour de moi. Nate pousse un cri de douleur et tombe à genoux. Je m'arrête aussitôt. Il gémit encore quelques instants.
« Recommence Cass...
- Euh.. bah non du coup, je vais pas faire ça.
- Ecoute, on n'a pas vraiment le choix. Soit on ne fait rien et on gèle, soit tu fais ton machin de bouclier et on survit.
- Moi je survis, toi... c'est pas sûr.
- C'est toujours ça. Et puis, peut-être que si tu te concentres un peu plus tu peux éviter de me tuer. »
Me concentrer un peu plus donc... il n'a pas tort. Certaines actions sont devenues naturelles et faciles avec mon médaillon mais là, c'est autre chose. J'essaye de me replacer dans l'état d'esprit où j'étais, au début de l'année, lorsque je suis entrée en seconde et qu'il m'a fallu apprendre à maîtriser mon pouvoir. Je m'efforce d'oublier la tempête qui se déchaîne autour de nous et calme un peu ma respiration pour ralentir les battements de mon coeur. L'horloge de nos médaillon est synchronisée sur notre rythme cardiaque. Si je veux éviter que les programmes tournent à toute allure en une relative autonomie, si je veux être aux commandes, je dois diminuer la vitesse du processeur. Je m'apaise donc, petit à petit. Le médaillon fonctionne en convertissant notre chaleur corporelle en énergie. C'est comme un tout petit moteur thermique qui utiliserait l'écart de température entre deux sources, la source chaude, notre corps, et la source froide, l'extérieur, pour transformer le flux de chaleur allant de l'un à l'autre en une énergie électrique alimentant le système. En été, l'écart de température entre l'extérieur et notre corps diminue et les médaillons fonctionnent moins bien. Là, avec la tempête de neige, ce n'est pas un problème ! C'est ce que j'ai appris en cours de physique il y a quelques mois et j'ai trouvé cela passionnant... mais est-ce vraiment le moment de me remémorer mes cours de physique ? Fermer les yeux m'aide à me concentrer et à mettre en relation mes ondes cérébrales et les ondes émises et reçues par le médaillon. Ce cours-là devrait arriver en fin d'année donc ne me demandez pas comment ça fonctionne mais toujours est-il qu'il est possible de voir mentalement ce que vous appelleriez le « bureau » du médaillon. Comme si vous aviez un ordinateur dans la tête. Certains s'en inquiètent d'ailleurs parce qu'avoir un ordinateur dans la tête n'est-ce pas aussi une forme de vulnérabilité face à un contrôle extérieur ? Là encore, je ne suis pas sûre que ce soit le moment de débattre, gardons cela pour les heures de philosophie-éthique. Je visualise donc très nettement les icônes des applications que j'ai développées. En cours de numérique, on retire son médaillon, on l'ouvre (je passe toujours de longues minutes à m'extasier devant la mécanique de précision, les petites roues dentées qui s'accrochent les unes aux autres et dont les cours ne suffisent pas à exprimer tous les secrets), on retire la puce que l'on place sur un circuit permettant de la relier à un ordinateur et de pouvoir, via cet outil informatique, réaliser des codes pour développer de nouvelles applications. Je vous l'ai déjà dit, je suis assez forte à ce jeu-là et j'ai développé beaucoup d'applications performantes. Je me dirige mentalement vers l'icône « shield »... ironique pour quelqu'un qui n'aime pas l'américanisation. Scandaleux même. Au prochain cours je change cela ! Si je ne trouve rien d'original, je l'appellerai « bouclier » ! Le programme s'ouvre et là j'hésite : plusieurs options sont possibles et je ne suis pas sûre de celle que je dois choisir. Je peux créer un bouclier contre le pouvoir d'une autre personne : techniquement c'est un peu comme une grande vitre résistante à tout que je place entre la personne et moi. Clairement, là, ça ne sert à rien. Deuxième possibilité, je peux créer une bulle autour de moi. C'est ce que j'ai fait intuitivement à l'instant. Cela semble me préserver de la tempête mais l'effet sur Nate n'est pas des plus positifs. J'accède aux paramètres de cette option pour tenter de comprendre d'où cela peut provenir. Ah... voilà... c'est somme toute assez simple. C'est moi qui doit régler mentalement, tous les paramètres à l'intérieur de la bulle, température, pression, vitesse du vent, radiations filtrées, particules filtrées...et il semblerait que, par défaut, une fonctionnalité se déclenche : « repousser tous les animaux étrangers ». Je ne suis pas certaine que Nate se sentirait flatté mais quoi qu'il en soit, si cela peut s'avérer très utile lorsque l'on se perd en milieu sauvage ou lorsqu'une personne s'en prend à votre intégrité physique, il me paraît judicieux de décocher le paramètre. Instantanément, je sens Nate se détendre.
J'ouvre les yeux et il est allongé sur le dos, respire plus calmement et s'essuie le front mouillé de sueur. Je suis toujours debout, les deux pieds ancrés dans le sol, les bras le long du corps, la tête légèrement penchée en avant dans une position de calme et de stabilité parfaite. Maintenant que j'ai repris le contrôle de la situation, j'ai l'impression que je peux redonner de la liberté à mon corps et à mon esprit. Je dois pouvoir laisser mon médaillon agir tout seul à présent. Je commence d'abord par bouger un peu les doigts puis les mains. Je fais ensuite quelques pas vers les parois de ma bulle. J'ai toujours aimé cette sensation. C'est transparent, il ne semble rien n'y avoir et pourtant quand on regarde de près, on peut voir des irisations de couleur danser à la surface comme sur une bulle de savon. Je pose ma main sur la surface. C'est solide mais souple, ma main est arrêtée par une matière assez froide et élastique. Je regarde de l'autre côté le chaos qui est en train de s'abattre sur le monde. Le ciel est noir, et la neige tombe à gros flocon. Plusieurs centimètres se sont déjà déposés sur le sol. Nate, s'est relevé à présent et vient lui aussi s'extasier devant ma sphère avant de porter son regard plus loin vers cette improbable tempête.
« Qu'est-ce qui se passe, Nate ?
- La fin du monde probablement... Ils n'ont pas voulu nous écouter mais nous savions que ça arriverait.
- Pas comme ça... pas d'un seul coup.
- D'un seul coup ? Tu trouves pas qu'il y a eu assez de signes pour nous alerter ? Le processus s'est enclenché il y a longtemps maintenant et il n'est plus possible de reculer.
- Tu sais les théories annonçant une nouvelle ère glaciaire qui s'abattrait subitement sur nous sont a priori infondées...
- Je ne crois pas que c'est ce qui se passe... je crois que dans quelques instants la neige va cesser de tomber, le soleil reviendra et il fera trente degrés et tout le monde parlera de cet épisode comme d'une simple singularité. Et on oubliera de s'affoler... encore. On ira au bal de fin d'année parce que c'est tellement plus important.
- Et toi ? Que feras-tu pendant ce temps ? »
Je tourne mon regard vers lui. La tempête n'a désormais plus d'importance. Ce qui compte, c'est ce que nous allons faire. Nous. Lui. Est-ce la même chose ? Vais-je le suivre aveuglément dans le projet qu'il est en train de fonder ? Le suivre, très probablement. Aveuglément. Jamais. « Viens, rentrons ». Il n'a pas lâché ma main et redescend ce que nous venons de gravir au pas de course en me tirant derrière lui. J'essaye de maintenir notre bulle alors que nous marchons mais c'est un peu difficile. Heureusement que Nate me guide. La neige s'arrête assez rapidement et la température remonte. Je me débarrasse de ma sphère. Comme Nate l'avait prédit, rapidement l'épisode météorologique se fait oublier ne laissant que quelques preuves de son passage sous la forme de petits monticules de neige. Ses cheveux longs collent un peu à sa nuque et j'entends son souffle de plus en plus nettement. Je suis quant à moi parfaitement essoufflée et au bord de la crise cardiaque. Je tire un peu sur sa main pour lui rappeler ma présence et le forcer à s'arrêter. Je me relâche un peu, me penche en avant et laisse mes mains s'appuyer sur mes genoux pour retrouver ma respiration. Il s'assoit par terre sur le tapis d'épines de pin et, la tête entre les jambes, récupère un peu... ou réfléchit.
« T'es vraiment forte en numérique ?
- Je me débrouille bien... mais toi aussi apparemment.
- Pas assez pour créer une application pour lire l'avenir ».
J'émets un rire clair et sincère, parce que cette phrase est vraiment drôle.. sauf que ce n'était pas l'intention de Nate, qui semble vexé. Je m'étrangle un peu en ravalant mon rire.
« Tu étais sérieux ? Nate, c'est impossible de voir l'avenir.
- Il y a pourtant bien quelqu'un qui a réussi, j'en suis certain.
- Si c'est le cas, tout le monde est à sa recherche et des hommes puissants le trouveront avant toi.
- Tu as raison, des hommes puissants l'ont certainement trouvé. »
Je ne sais pas quoi répondre. Je suis étonnée par sa crédulité. Pour ne pas risquer de le vexer davantage, je préfère réorienter la conversation.
« Qu'est-ce que tu lui demanderais si tu l'avais sous la main ? Pourquoi tu me parles de cela ?
- Parce que j'ai une idée, mais j'aimerais savoir de combien de temps je dispose pour la mettre en oeuvre.
- Et ?... Sois précis : quelle serait la question que tu lui poserais, si tu pouvais parler à celui qui sait lire l'avenir ?
- Combien de temps reste-t-il avant que ce monde deviennent totalement inhabitable ? »
Je déglutis. Je ne sais pas ce qu'il a en tête mais je suis convaincue d'une chose : Nate est certain que l'heure est grave et il veut agir. Je n'arrive pas encore à savoir si je le prends totalement au sérieux. Nous n'avons pas dix huit ans : comment pourrions-nous avoir un quelconque rôle dans tout cela ? Et pourtant... il semble avoir une idée. Aurai-je le courage de le suivre ? Que serais-je prête à sacrifier ? Et là, la question qu'il se pose prend tout son sens. Si c'est la fin du monde dans quelques jours, aller en cours, rentrer chez mes parents ce soir et lire un bon bouquin dans mon lit n'a vraiment aucun sens mais si la fin du monde est pour dans dix ans, puis-je vraiment me permettre de tout envoyer valser aujourd'hui ? Tout d'un coup, quelque chose se déclenche dans ma tête. N'importe qui y aurait pensé plus tôt mais Nate et moi, aveuglés par notre refus de nous plier à toutes les règles de la modernité, n'avons pas réagi.
« Nate, aujourd'hui on n'a plus besoin de trouver quelqu'un pour lui parler. Il suffit de s'adresser à lui par le flux. »
Il sourit. Il aime mon idée et il me trouve encore plus intelligente parce que j'y ai pensé.
« Je suppose que tu n'as pas activé le flux sur ton médaillon bricolé, je vais devoir le faire. »
Je me concentre un peu pour accéder au système du médaillon et me connecte à l'application du flux. @celuiquivoitlavenir : quand notre monde cessera-t-il d'être habitable ? Nous ne savons pas comment il s'appelle alors nous allons devoir essayer plusieurs noms de destinataires. Nate m'aide à en trouver. @celuiquilitlefutur, @levoyant, @visionnaire... des dizaines de noms y passent. Nous arrivons a cours d'idées lorsque Nate se met à rigoler tout seul.
« Essaye @Nostradamus... »
L'idée m'amuse alors j'essaye. J'envoie le message et nous reprenons notre route. Quelques minutes passent et je ressens une vibration sur ma poitrine. A nouveau je me concentre pour afficher devant mes yeux la réponse que j'ai reçue à l'instant.
«@Cass from Nostradamus : Fin du monde dans dix jours »
***
Je ne mange pas vraiment, je torture les fleurs de choux-fleurs qui dansent dans mon assiette avec la pointe de ma cuillère. Je sens le regard inquiet de mes parents. Ils vont bientôt me poser des questions. Qu'est-ce que je vais pouvoir leur dire ? Qu'est-ce que leur esprit d'adulte est prêt à croire ? Qu'est-ce que leur esprit de parent est prêt à entendre ? Je sais ce qu'ils vont penser, parce que je le pense moi-même... et si Nostradamus était en fait Nate ? Il n'aurait pas été très difficile pour lui de manigancer tout cela. C'est ma mère qui craque en premier.
« C'est à cause du bal de fin d'année c'est ça ? Il est encore temps d'y aller tu sais...
- Non, maman, je m'en fiche un peu...
- Alors dis-nous ce qui se passe. On n'est pas trop bêtes tu sais, on peut comprendre plein de choses, ajoute mon père.
- Aujourd'hui, au lycée, avec un copain on a découvert un truc un peu perturbant. - Un copain ? »
Je regrette immédiatement de ne pas avoir menti pour présenter Nate comme une fille. Les choses auraient sans doute été plus simples à justifier. Tant pis, je décide de poursuivre mon explication.
« On était dehors pendant la tempête de neige et là, Nate a dit que c'était le début de la fin. Alors on a contacté quelqu'un sur le flux qui peut voir l'avenir et qui a dit que c'était la fin du monde dans dix jours. »
Mes parents sont bouche bée. Franchement, je me suis vraiment mal débrouillée. Toute mon histoire sonne comme une vaste blague à laquelle j'ai moi-même du mal à croire.
« Mais depuis quand tu crois tout ce que tu vois passer sur le flux, Cass ?
- On est d'accord, maman, ce n'est pas super crédible et c'est vraiment gros, mais avouez qu'il est assez probable que notre monde soit en train de dépérir.
- Là-dessus, d'accord, acquiesce mon père... mais dix jours, ça fait vraiment film catastrophe. Tu ne crois pas que ton ami te fait une blague. Ce ne serait pas la première fois qu'un garçon tenterait d'abuser de la confiance d'une fille. »
Voilà, nous y sommes. Je suis un peu vexée que cet argument arrive aussi vite dans la conversation et que mon père le lance aussi facilement entre deux bouchées de choux-fleurs. Je décide de me défendre un peu.
« C'est tout de même blessant de savoir que pour vous, c'est plus probable qu'un garçon veuille se moquer de moi, plutôt qu'il soit vraiment mon ami.
- Ce n'est pas ce qu'on te dit, Cass, tente ma mère.
- Cela dit, reprend mon père sans délicatesse, qu'est-ce qui te paraît le plus probable : qu'un homme qui peut voir le futur ait décidé de te prévenir, toi et juste toi, que la fin du monde approchait, ou que ce garçon soit en train de te faire une mauvaise blague ?
- Je suis d'accord, présenté comme ça j'ai l'air d'une niaise.
- On ne te dit pas de ne plus lui parler ou de ne plus le voir mais simplement de rester attentive à toutes les éventualités. Tu es intelligente, ma fille, tu sais croiser des informations, tu as appris à analyser ce que tu trouvais sur le flux. Tu dois creuser la question pour savoir où se cache la vérité. »
Je réfléchis à ce qu'ils viennent de me dire. C'est plutôt sensé. Je ne dispose peut-être pas de beaucoup de temps pour analyser la situation mais il va me falloir un minimum de vérifications.
« Je peux changer d'avis et aller au bal de fin d'année finalement ? »
Si Nate est cohérent, il ne devrait pas s'y trouver... et pourtant quelque chose me dit que je le verrai là bas. Je me prépare pour cet événement extraordinaire. Je commence par détacher mes cheveux et me regarde dans le miroir. J'enfile une robe qui me va bien. Je suis toute maigre, il faut être très honnête, alors il ne faut pas espérer mettre des grand décolletés ou des dos nus. C'est une robe bleu sombre avec un col en V assez simple, qui descend jusqu'au genou et s'accroche à la taille, de manière assez cintré, par une petite broche. Je m'observe quelques instants et réalise que j'attache de l'importance à l'apparence que j'aurai à ce bal sensé être ridicule. Est-ce parce que j'ai envie de le voir ? Parce que je redoute de le voir ?
Un frisson me parcourt lorsque je descends de la voiture. Je ne regarde pas mon père repartir pour donner l'impression que je suis confiante mais c'est pire que ce que je croyais. Je suis en train d'aller au bal que j'ai critiqué face à tous ceux qui voulaient l'entendre. J'y vais seule, sans amie, sans personne à mon bras et honnêtement, je ne sais pas qui je vais pouvoir retrouver sur place. Je suppose que la technique consiste à se diriger vers le bar à soft. J'entre dans le gymnase. Je m'apprête à prendre un truc à boire mais je me trouve soudainement vraiment trop ridicule. C'est insupportable. Je ne suis pas venue ici pour boire, pour danser ou pour manger des fraises tagada. Je suis venue ici pour le trouver et le mettre en défaut. Alors je le cherche du regard. Au bout de quelques minutes je l'ai aperçu, en grande conversation avec deux jolies blondes. Elles sont grandes, elles sont bien coiffées et maquillées, elles ont des robes moulantes et décolletées qui mettent en valeur leur poitrine de femmes fières de ne plus se considérer comme des adolescentes. Jalouse ? Oui, je suis jalouse et je me sens humiliée d'avoir été la cible de ce garçon qui s'est très certainement joué de moi depuis le début. Je n'hésite pas, parce que je n'ai rien à perdre. Il me suffira d'envoyer un message à mon père par le flux pour qu'il vienne instantanément me chercher. J'aurai l'air bête, je passerai pour une gourde mais je sais que cette solution existe si j'ai besoin de m'évacuer rapidement. Je m'avance donc vers Nate d'un pas décidé et je me plante devant lui, sans hésiter à couper les blondes dans leur conversation. Peut-on appeler cela une conversation, la musique étant clairement trop forte pour que l'on s'entende discuter. Je dois d'ailleurs presque crier pour me faire entendre.
« Alors, Nate, tu as fini par te laisser convaincre que ce bal de fin d'année était plus important que la fin du monde ?
- Je pourrais te retourner l'attaque, Cass.
- Sauf que moi je suis venue ici uniquement pour éclaircir un doute. C'est très clair : tu t'es moqué de moi et je vais pouvoir rentrer chez moi.
- Encore une fois, je pourrais t'accuser de la même chose...
- Mais c'est toi qui m'a abordée, Nate, qui m'a fait croire que j'étais intéressante. Je suis tombée dans ton piège, tu es content ?
- Quel piège ?
- Ton histoire de fin du monde...
- Je n'ai pas inventé la neige, Cass...
- Peut-être pas, mais Nostradamus... c'est toi n'est-ce pas ? »
Il ne répond rien. Je ne lui laisse pas le temps de chercher une excuse stupide.
« Qu'est-ce que tu voulais exactement, Nate ? Me séduire pour me rejeter ensuite en riant avec tes copains. Eh, bien tu peux être fier, j'ai été séduite, d'accord ? J'étais à deux doigts de me jeter dans tes bras... mais je ne suis pas complètement idiote apparemment. Un peu, mais pas complètement. »
En prononçant ces mots, je tourne les talons pour repartir vers la sortie du gymnase. Dans ce genre de situation il faut prendre soin de maîtriser sa sortie. Il m'attrape le coude. Je me dégage en me retournant légèrement vers lui. Il prend alors ma tête entre ses mains et m'embrasse.
Il m'embrasse. Là, devant tout le monde. Et tout le monde nous regarde. Nous somme dans un lycée. C'est ce genre de choses que l'on attend d'un bal de fin d'année. Je me laisse faire complètement. Je sais que je vais m'énerver contre lui, mais pas tout de suite. Tout le monde rêve de son moment de cinéma et il n'y en a pas forcément des dizaines dans une vie. C'est la première fois que j'embrasse un garçon et je sens comme un petit courant électrique parcourir mon corps. Ses lèvres sur les miennes sont à le fois chaudes et humides et c'est une sensation qui n'est pas si courante, qui me surprend. Sa langue vient délicatement attraper la mienne et je le laisse mener la danse. Est-ce naturel ou bien parvient-il subtilement à me guider ? C'est en tous cas merveilleusement agréable. Mon instant Hollywood. Je veux profiter de celui-ci même si je sais que je ne pourrais pas être crédible si je me laisse entraîner trop longtemps. Fort heureusement, il s'écarte un peu, toujours en tenant ma tête et voit certainement toutes les larmes de mon corps prêtes à jaillir.
« Est-ce que tu es en train de te moquer de moi ?
- J'aurais une drôle de façon de m'y prendre, non ? Viens sortons. »
Il me prend la main et me tire vers la sortie, sans un regard pour ses copines. Ce ne sont peut-être pas ses copines finalement. Les spots continuent leur bal multicolore, les rires et les éclats de voix fusent. Nous nous asseyons sur un banc, dans la cour. Assis sur le dossier, les pieds sur l'assise, parce que tout le monde fait comme ça. L'air n'est pas froid mais il fait nuit désormais et je frissonne un peu. Nate dépose bien entendu sa veste sur mes épaules.
« Pourquoi es-tu persuadée que je ne suis pas sincère, Cass ?
- Parce que, rationnellement, tout cela ne tient pas debout. Pourquoi est-ce que toi, un adolescent, un lycéen, tu aurais la capacité de sauver le monde ?
- Je ne suis peut-être pas un adolescent comme les autres...
- Et qu'est-ce qui te rend différent ? Il va me falloir des preuves car je ne suis pas dotée de beaucoup de foi...
- Tu sais Cass, si je t'ai laissé croire que je me prenais pour l'élu ou un super héros de cinéma, j'en suis désolé. Je ne suis pas un adolescent si particulier que ça. Je n'ai pas de pouvoir, et honnêtement, mon médaillon ne m'accorde pas une puissance incroyable. Je suis différent des autres ado dans le sens où je suis révolté. Tu t'es laissée convaincre par « les adultes » que c'était leur rôle de régler les problèmes de ce monde. Nous, nous ne sommes que des lycéens : notre rôle c'est d'aller au lycée et de faire nos devoirs. Passe ton BAC d'abord, n'est-ce pas ? Mais si tu regardes les choses en face, Cass, est-ce que les adultes remplissent leur job ? Que font nos parents, nos professeurs ou les hommes politiques pour sauver le monde. Rien. Il n'ont rien fait, il ne font rien et puis, de toutes façons, il est trop tard.
- Mais en réalité, tu n'en sais rien. Peut-être que nous avons le temps.
- Je ne peux pas voir l'avenir mais j'ai la sensation que non, nous ne pouvons pas attendre.
- Quel est ton plan dans ce cas ? Qu'est-ce que tu veux faire toi, concrètement ?
- Alors tu acceptes de m'aider ?
- Je veux juste connaître ton plan... je pense que cela m'aidera à me faire une idée. »
Il hésite quelques instants. Je ne sais pas si c'est bon signe. A-t-il peur de me faire confiance ? Est-il en train d'inventer quelque chose ? Il finit par m'expliquer son idée.
« En circulant dans les allées sombre du flux... »
Je me retiens de le charrier sur le fait qu'il est le parfait stéréotype du hacker anti-système. Je le laisse continuer.
« … j'ai rencontré plusieurs personnes qui pensent que la fin du monde est pour bientôt. Je ne sais pas comment te convaincre, Cass. Il n'y a pas tellement d'arguments mais en lisant leurs propos j'ai senti que cela résonnait en moi... Je sais que la menace est réelle. Mais ça ne te dit pas ce qu'est mon plan. »
Je hoche la tête. J'ai besoin de concret.
« Ces mêmes personnes pensent qu'il n'y a plus rien à faire pour sauver notre monde.
- Bientôt l'Armaggedon, quoi.
- Tu ne crois pas si bien dire. Certains n'hésitent pas à utiliser le terme. Bref, ce qu'ils pensent c'est que nous devons mettre en place des refuges.
- Tu veux descendre t'enfermer dans un métro ou tu veux te réfugier dans un bunker de la guerre de 40 ? »
Il me sourit parce que c'est tout de même une pique amusante mais il s'amuse aussi à imaginer ma surprise lorsqu'il me proposera vraiment son idée. Il baisse les yeux comme s'il n'osait pas trop... puis les relève :
« Je veux m'entourer de gens qui ont un pouvoir puissant pour créer un lieu sûr mais agréable à vire pendant le temps qu'il faudra. Tu es un élément essentiel : toi et ta bulle protectrice... »
Les idées se bousculent dans ma tête immédiatement. Des doutes sur la sincérité de Nate m'assaillent de nouveau. Savait-il depuis longtemps quel était mon pouvoir ? Est-il venu m'aborder tout à l'heure sachant pertinemment à quoi je lui servirais ou bien est-ce une pure coïncidence... le plus probable, Cass ? Qu'est-ce qui est le plus probable ?
« Je sais ce que tu penses...
- que toutes tes belles paroles pour me séduire n'étaient que du vent. Tu avais besoin de mon pouvoir
- Si j'essaye de me défendre, je ne ferai que m'enfoncer.
- mais si tu ne dis rien, tu ne feras que confirmer...». Je ne dis rien de plus. Il ne dit rien de plus. J'essaye de sonder mon esprit : ma raison, mon cœur. Je les laisse se battre en duel et c'est une série d'émotions qui viennent prendre part à cette grande bataille intérieure. La colère d'être probablement manipulée depuis le début, l'espoir que les sentiments de Nate soient sincères, la peur de me lancer dans quelque chose de trop grand pour moi, la fierté d'agir pour l'avenir, la honte d'être une fille qui se prend pour une femme, l'envie folle de le suivre... « Alors comment on s'y prend ? » Il me sourit, d'un sourire sincère qui me transporte de joie. Il prend encore de longues minutes, là, en pleine nuit, sur ce banc, pour m'expliquer ce qu'il compte faire. Nous devons mener notre enquête sur les pouvoirs des uns et des autres. Cela n'a rien de secret mais ce n'est pas non plus comme si nous nous baladions tous avec une étiquette sur le front « je peux créer une sphère préservant de bonnes conditions de températures et de pressions ». il n'y a normalement pas de registres listant les pouvoirs de chacun. Je dis normalement étant donné que si la loi sur la question est claire, les théories complotistes n'en vont pas moins bon train. Il va donc falloir interroger subtilement et surtout nous poser la question de savoir ce qui sera vraiment nécessaire. C'est la première étape de notre projet. Après, après... Nate s'emballe et me détaille ce qu'il faudra faire après. Je cesse peu à peu de boire ses paroles et l'observe en tentant de prendre un peu de distance. Il me laisse songeuse. Il y a quelque chose en lui que je devine sans vraiment le voir... un côté sombre que j'aimerais percevoir... Un côté sombre que je vais, j'en suis certaine, parvenir à cerner. Il me parle encore. Je lève les yeux au ciel vers les étoiles et la lune. Soudain quelque chose clignote devant mon regard. Un message du flux...
«@Cass from Nostradamus : Prend garde à Nate : il sera la fin de ce monde »
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