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Histoire courte #6

Les mondes commencent à se croiser...

Aïleen regarde la porte un long moment. C’est une haute porte en bois ciselée à double battant maintenue par deux colonnes et un arc boutant de pierre. Il n’y a pas de mur de chaque côté, seulement le désert à perte de vue. Derrière elle, la rivière, les falaises et la forêt en feu au dessus. Devant elle, le sable. Cette porte est là, seule, au milieu de nulle part mais Aïleen ne peut se résoudre à croire que le mythe n’a pour fondement qu’une ruine au coeur du désert. Elle veut croire qu’il y a quelque chose de l’autre côté. Elle est agenouillée devant, le dos bien droit et elle attend. Elle attend le bon moment peut-être. Elle veut croire qu’elle n’a pas fait tout ce chemin pour rien. Et puis, qu’a-t-elle à perdre finalement ? Elle a déjà perdu Lestat. Elle se lève et pose sa main sur la porte. Elle est finement décorée. Des guerriers, des nobles, des animaux dans les champs : des images du moyen âge qui n’ont plus beaucoup de sens aujourd’hui, qui appartiennent à un monde qui n’existe clairement plus et n’existera plus jamais. Il n’y a pas de poignée, alors Aïleen s’appuie de ses deux mains sur les battants et utilise son propre poids pour faire pivoter les portes… Ce qu’elle reçoit en premier, c’est un souffle, un air frais qui n’a rien à voir avec l’absence de tout air qui étouffe ce côté-ci. Il y a des odeurs aussi : du cumin, de la menthe, du pain mais aussi une odeur de cheval et de chèvres. Ensuite, portés par ce courant d’air, viennent les sons. Beaucoup de voix, de rires d’enfants, de femmes et d’hommes qui s’interpellent et aussi… aussi étonnant que cela puisse paraître, le bruit d’un train, un de ces vieux trains à vapeur que l’on pouvait voir dans les films. Enfin ce sont les couleurs et les mouvements. Une activité foisonnante se met en place sous ses yeux. C’est une place de marché, inondée d’étalages en tous genres de denrées qu’elle a oubliées. Sur sa droite, il y a bien un train. Une immense locomotive à vapeur, qui ne crache rien, suivie de cinq wagons est à quai. La sirène retentit par moments, comme pour indiquer un départ imminent. On s’agite tout autour. Certains montent, d’autres descendent. On se passe des valises et des paquets.

« Mademoiselle, par ici… »

Aïleen détourne le regard de cette scène surnaturelle et reporte son attention vers l’homme qui vient de lui parler. Elle trouve qu’il ressemble à un marin des temps anciens. Il a une barbe grisonnante de quelques jours, un tatouage sur le bras, une boucle à l’oreille et une corpulence assez trapue. Il parle avec la voix éraillée d’un homme qui a trop fumé mais ses mots n’en sont pas moins doux. Il fait un geste d’accueil avec son bras pour lui indiquer avec délicatesse qu’elle ne peut pas avancer d’avantage et doit d’abord passer par un point de contrôle. Il la laisse prendre son temps. Elle doit certainement avoir l’air perdu, elle est extrêmement sale et sent le brûlé… Elle suit donc l’indication qu’il donne mais ne peut s’empêcher de tourner les yeux une dernière fois vers le train rouge, noir et doré. Une femme descend de la locomotive. Aïleen est absorbée par cette apparition. Quel charisme ! Même le marin est subjugué par son charme. Elle porte des vêtements aux couleurs étincelantes qui attirent l’œil. Des mélanges de rouge et de turquoise avec des motifs de fleurs et d’oiseaux. Ses cheveux longs et raides sont coiffés en une longue tresse dans laquelle elle a planté des fleurs de lys. Elle s’adresse en chinois a plusieurs personnes restées à l’intérieur pour leur donner des ordres. Surveiller les entrées, ravitailler, nettoyer avant le prochain départ… Aïleen comprend tout ce qu’elle dit alors que l’intrigante femme se dirige d’un pas assuré dans sa direction. Son manteau de soie vole autour d’elle avec grâce. Elle s’arrête devant le marin et lui tend une main qu’il baise avec délicatesse. « Yakumi, vos arrivées me procurent toujours autant de joie.

- Toujours aussi flatteur Lawrence ?

- Ce n’est jamais de la flatterie avec vous. Comment s’est passé votre voyage ?

- Un petit tour en prison m’a un peu secouée… mais nous avons un réseau puissant à présent, mon ami, je m’en suis tirée sans trop de difficultés. Viendrez-vous avec moi la prochaine fois ?

- Je crois que ma place est ici… et je vous le dis avec beaucoup de regret.

- Je vois que nous avons une nouvelle arrivante… Vous avez l’air perplexe mademoiselle.

- Perplexe est un mot un peu faible, répond Aïleen. J’ai parcouru des kilomètres à pieds pour venir ici sans savoir ce que j’y trouverais…

- Et qu’avez-vous trouvé ?

- Je n’en ai pas la moindre idée. »

Yakumi sourit d’un air entendu et pose une main sur l'épaule d'Aïleen. Elle exerce une légère pression rassurante. Elle regarde le médaillon qu'elle porte autour du coup pendant quelques secondes. Aïleen regarde le sien : il est turquoise cerclé de rouge mais elle est presque sûre qu’il change de couleur au gré de ses humeurs.

« Je pense que nous nous reverrons bientôt…annonce-t-elle.

- Aïleen.

- Oui, nous nous reverrons bientôt Aïleen. Le pouvoir de votre médaillon est très puissant. Lawrence, Dites à l’ambassadrice que je viens lui faire mon rapport dans quelques minutes, je vous prie…

- Je n’y manquerai pas. » Yakumi s’en va à travers la place de marché et disparaît dans la foule. Aïleen a du mal à réaliser ce qui vient de se passer : le pouvoir de cette femme serait-il de deviner le pouvoir des autres ? Lawrence semble alors se souvenir de la présence d’Aïleen et l’invite de nouveau à le suivre. Elle jette un dernier coup d’œil à a la locomotive. Elle espère bien la retrouver bientôt.


Elle pénètre dans ce qui ressemble à une tente de légionnaire. Le vent fait claquer la toile. Il n’y a pas beaucoup de mobilier : essentiellement une grande table et deux chaises de chaque côté. Une femme est assise, et semble rédiger un document. Elle porte des lunettes en demi-lune, qui lui donnent un air assez strict. Sa coiffure en chignon grisonnant et son tailleur noir n’arrangent rien. Elle est un peu intimidante. Lawrence le marin me fait un sourire et m’invite à m’asseoir. Il tire même la chaise pour que je puisse m’installer. Je ne suis pas sûre qu’elle nous ait vus rentrer et je crois que lui non plus.


« Madame l’ambassadrice, il y a une nouvelle arrivante »

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