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histoire courte #3


Elle découpe un petit papier. Le temps passe et pourtant il est toujours là. Elle regarde par la grande baie vitrée le soleil qui caresse les premières fleurs. Dehors il fait sûrement bon et elle se sent apaisée. Là, en cet instant précis, elle n'a pas peur... elle ne pense pas à la peur. Dans la cuisine, cela sent bon le chocolat du gâteau qui cuit dans le four.

“Maman donne.”

Assise dans sa chaise, la petite Louanne fait un geste de la main pour attraper le bout de feuille coloré. Elle le lui tend en lui faisant un sourire et caresse ses petites bouclettes blondes. Ça y est, elle commence à y penser, elle commence à avoir peur.

Mais d'où est-ce que ça vient ? Depuis quand a-t-elle peur au juste ? De quoi ? De tout. Des accidents de voitures, des pesticides, des cancers. De la mort. Pendant un temps, lorsqu'elle était enceinte de Louanne, elle avait cru qu'avec la naissance de sa fille quelque chose changerait. Dans sa tête. Les choses ont un peu changé, elle ne s'angoisse plus autant pour toutes les choses du quotidien pour les réunions, les rendez-vous, les résultats au travail. Elle ne s'énerve plus contre ceux qu'elle trouve idiots, elle voit les choses différemment :

“Tant que Louanne va bien, tout va bien”.

Mais voilà, tout le problème est là... avec cette pensée, de nouvelles inquiétudes surgissent.

Louanne s'applique. Elle pose le petit bout de papier sur sa feuille et commence à colorier par dessus. Elle tient son crayon fermement, elle est sûre d'elle. Elle regarde sa fille faire avec beaucoup de plaisir et se met à éprouver le besoin, elle aussi, de faire des collages. Est-ce que Louanne est en train de penser à quelque chose ou bien est-elle pleinement consacrée à son activité ? C'est peut-être cela que les adultes ne savent plus faire : arrêter de penser. Un bruit de l'autre côté de la baie vitrée. Louanne lève la tête, ouvre la bouche en un joli “Oh!” de surprise. Elle écoute le train passer. Lorsque le silence retombe elle regarde sa maman :

“A y'est train

- Oui, Louanne, ça y'est, le train est passé”.

Louanne reporte son attention sur son collage-coloriage. Elle dépose un baiser sur la joue toute douce de sa fille. C'est frais, moelleux. Elle pourrait l'embrasser sans cesse. Elle trouve que sa fille sent bon. Une odeur douce de biscuit, de lait et de savon. Elle se lève pour aller voir le gâteau dans le four. Les bords commencent à former une croûte foncée mais le milieu est encore un peu liquide. Elle va se rasseoir à côté de Louanne pour l'observer faire ses dessins. Elle choisit ses couleurs, ouvre les bouchons, trace des traits et referme les bouchons. Elle répète ce petit rituel plusieurs fois. C'est peut-être aussi cela la clef... le rituel.

Est-ce que c'est une peur propre à tout être humain ? Sans doute, mais elle a tout de même l'impression que ceux qui l'entourent ne se préoccupent pas temps de la mort. Lorsque la peur devient trop grande, elle essaye de la convertir en une émotion plus positive. Cette idée terrifiante selon laquelle demain sera peut-être un jour sombre lui permet de profiter de l'instant présent en pleine conscience. Elle mesure véritablement le bonheur qui est le sien. On dit généralement que c'est la peur de la mort qui permet de profiter pleinement de la vie. Et si ses craintes étaient aussi une source de bonheur plus intense ? Elle se lève de nouveau pour aller vérifier l'état de cuisson du gâteau.

“mmm c'est bon les gâteau”

La remarque de Louanne la fait sourire. Elle tourne la chaise de la petite fille vers la porte du four et sort le gâteau devant elle.

“ça fume !”

Elle prend un couteau qu'elle plante dans le gâteau : il ressort parfaitement lisse. C'est cuit. Elle regarde le petit trou qu'elle vient de faire et sourit. Elle a une idée. Elle forme un autre petit trou et en dessous une bouche qui sourit. Louanne glousse. C'est un rire clair; clair de tout nuage, clair de toute pensée terne. Elle laisse Louanne mettre un doigt sur le gâteau chaud. Elle rigole.


Alors c'est peut-être cela. Le grand jeu de la vie ce n'est pas de vivre le plus longtemps possible, mais simplement de fabriquer le plus de bonheur possible. Elle essaye de garder cette pensée toute chaude et toute tendre le plus longtemps possible. Elle détache Louanne de sa chaise haute et la regarde s'éloigner vers ses jouets de sa démarche bancale et maladroite. Elle mange le bout du gâteau qu'elle a retiré pour faire l'oeil du bonhomme. Elle aussi rigole un peu. Louanne est en train de jouer à la dinette. La petite fille, elle aussi fait un gâteau pour son ours en peluche. Elle fait cuire, elle mélange elle transvase en un éternel recommencement.

Elle croise les bras, penche un peu la tête sur le côté et regarde sa fille un peu différemment. Le temps passe mais il est toujours là.

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